Ann O’Aro

30 ans, Musicienne. Réunionnaise. Talentueuse

 

Cette jeune musicienne créole de Tan Rouge dans les Hauts de Saint-Paul nous livre quelques confidences sur son tra- vail qu’elle voit comme “une matière à universaliser l’histoire, avoir une sorte de recul sur elle-même, un travail autour du son, un autre rapport à la musique à travers le dialogue et toujours avec des partis-pris très forts dans le texte”. Dialogue avec une chanteuse poétique et sans concession!

La musique, une tradition familiale, une passion ?

J’ai commencé la musique par l’orgue à l’église couplé à un appren- tissage violent à la maison.
Mon père apprenait la musique de façon autodidacte et avait une manière très destructrice de me faire partager sa passion tardive. Nous n’avions pas accès au Maloya, j’ai donc appris la musique classique, jazz et religieuse au conservatoire et à l’église.

Racontez-nous en quelques mots votre vie de musicienne?
Je répète chaque semaine avec les musiciens de mon groupe. Je pars de plus en plus en tournée, souvent en France mais récemment en Tasmanie, en Australie, en Suisse et à Budapest. Nous avons des concerts régulièrement sur l’île. Je fais aussi beaucoup d’interventions dans des lycées, collèges et écoles pour différents projets (écriture de chanson, échanges sur la notion d’intégrité physique, métiers de la scène, accompagnement dans des matières en lien avec la scène…).

Avec qui travaillez-vous ?

Je travaille avec Philippe Conrath qui m’a permis d’explorer la voie musicale de façon professionnelle. Il m’a accompagné afin de créer un répertoire, de comprendre le métier de la scène et de la musique, de rendre universel le propos que j’aborde et de trouver les per- sonnes avec qui travailler. Pour le premier album, j’ai travaillé avec Willy Paitre et Jean-Didier Hoareau aux percussions et choeurs, Fan- ny Ménégoz aux flûtes4 et Julien Rousseau au buggle et trompettes. Nous avions avec nous, Brice Nauroy en ingénieur son. Depuis la sortie de l’album, je défends mon répertoire aux côtés de Bino Waro aux percussions et Teddy Doris au trombone et à la voix.

Vos qualités et vos défauts ?
J’ai la qualité de savoir me servir de mes défauts.

Vos traits de personnalité ?
Joyeuse et déterminée.

Votre meilleur souvenir d’enfance ?
La première nuit blanche que j’ai faite. Je n’arrivais plus à dormir et j’ai fini par me lever du lit pour rejoindre la fenêtre de ma chambre. J’avais l’impression de trahir le silence et la nuit. Que quelqu’un me tomberait dessus. J’ai ouvert la fenêtre et j’ai vu la lune juste en face, énorme. Ça m’a fascinée. comme un secret que je venais de décou- vrir. Qu’il y avait une vie la nuit, que le monde continuait sans moi qui m’endormait.

Parlez- nous de votre travail et de vos scènes avec Danyél Waro ?
J’aime approcher la musique par le texte et l’émotion, je travaille beau- coup sur le corps, autour de thèmes comme l’inceste, la violence, l’amour physique, la conquête de soi.

J’ai une approche de ma discipline très intuitive et j’approfondis et requestionne souvent les raisons de tel ou tel envie instrumentale ou ef- fet sonore. J’aime pouvoir traduire une multitude d’impressions en allant au plus simple et en se concentrant sur l’essentiel : le texte, l’émotion. Ma musique est proche du maloya, elle s’en inspire, elle a les pieds dedans mais elle me ressemble, elle est brute, raide, radicale, parfois rugueuse ou grinçante, plus rarement douce.

J’ai eu l’opportunité de jouer mon premier morceau pendant un concert de Danyél Waro au Palaxa. Il m’a présenté à son public en plein milieu de son concert. Les gens étaient enragés, ils huaient notre venue sur scène en nous disant de rendre Danyél. Après la première note, le silence s’est fait totalement. C’était magique. Le public était conquis. Un souvenir mémorable.

J’ai fait une tournée de 14 dates avec Danyél où je me suis sentie obligée de préciser que je n’étais pas sa fille. Donc non, Danyél Waro n’est pas mon père et c’est tant mieux. Lui, c’est un homme remarquable avec qui j’ai encore échangé très peu de paroles mais j’ai beaucoup appris en l’observant et en l’étudiant m’observer.

Quelles sont vos dernières scènes… et vos prochaines scènes ?
J’ai joué en Tasmanie au Mona Festival, à Hobart et à Launceston, puis en Australie, au Recital Center de Melbourne. Mes prochaines scènes : une tournée était prévue à Paris Aux Trois Baudets, au Palais Idéal du Facteur Cheval et au Train Théâtre à Portes -les-Valence, dans la Drôme. Tout est reporté pour l’instant.

Et vos autres occupations ?

Je pratique l’aïkido, je dessine et peins par- fois des visages, des demi-visages. Et comme peintre, j’aime Charles Carson.
J’adore la lecture : Virginie Despentes, Alain Damasio, Bukowski…

Et le travail d’écriture qui représente une bonne part de mon temps et une vraie discipline.

Vos projets ?

Nous enregistrons le deuxième album cette an- née, sortie prévue en octobre 2020.
Je participe aussi à des projets de courts mé- trages et de bande sonore.

Qu’est ce que vous auriez envie de dire que vous n’avez jamais dit ?
J’aime mon métier ! Merci à tous ceux qui oeuvrent pour qu’il existe et à tous les gens au- tour de moi qui me soutiennent.