Apprendre à respirer pour mieux apprendre
Comment la respiration consciente s’invite à l’école et change les règles du jeu
Le silence se fait. Les regards s’apaisent. Les épaules se relâchent. Pendant quelques minutes, dans cette salle de classe réunionnaise, élèves et enseignant·e ferment les yeux… et respirent ensemble. Ce n’est ni une punition, ni un moment de relaxation en fin de journée. C’est devenu une habitude. Une routine. Une respiration partagée qui précède l’apprentissage. Et si c’était cela, la véritable révolution pédagogique ? Une école qui n’accélère pas toujours, mais qui apprend à inspirer, expirer, ralentir.
@Stress scolaire, agitation émotionnelle, difficultés de concentration : les enseignants sont nombreux à constater une augmentation du mal-être chez leurs élèves. Fatigue, nervosité, troubles de l’attention, tensions entre camarades ou avec les adultes deviennent des problématiques du quotidien. Les enfants, comme les professeurs, vivent à un rythme qui déborde. Et face à cela, il n’existe pas de solution miracle. Mais il existe une porte d’entrée douce, gratuite, toujours disponible : la respiration consciente, qui s’invite désormais dans les écoles réunionnaises grâce à plusieurs initiatives locales, dont le programme « Respirons la Santé » porté par MUTA.
Ce que disent les études… et l’expérience En 2019, une étude menée à La Réunion par Michaël Vauthier, maître de conférences en psychologie à l’université, en partenariat avec le Dr David O’Hare, spécialiste de la cohérence cardiaque, a testé l’intégration d’exercices respiratoires dans plusieurs écoles réunionnaises. Pendant huit semaines, les enseignants formés ont guidé leurs élèves dans des exercices simples de respiration rythmée, chaque jour. Les résultats ont été clairs : diminution du stress, amélioration de l’attention, renforcement du lien enseignant/élève, et une atmosphère générale plus apaisée dans la classe. Ces pratiques, inspirées de la cohérence cardiaque, ne nécessitent aucun matériel ni prérequis. Elles s’intègrent en cinq minutes, entre deux cours, au début d’une journée ou à la fin d’un atelier. Leur efficacité repose sur la régularité… et sur la posture bienveillante de l’adulte qui les propose.
Pour soutenir cette dynamique, Petit BamBou, l’application de méditation bien connue du grand public, a développé Petit BamBou School, une version gratuite destinée aux enseignants. Elle propose des séances courtes, ludiques, adaptées aux enfants comme aux adolescents, en français et en créole réunionnais. Pas besoin de formation en yoga ou en méditation : les outils sont guidés, simples et progressifs. Et ils ne visent pas la performance, mais l’acquisition d’une compétence émotionnelle essentielle : savoir se recentrer, écouter ce qui se passe à l’intérieur, se réguler.
« La respiration est une ressource intérieure accessible à tous. Elle nous relie au corps, à l’instant, aux autres. Dans une école qui veut éduquer des individus libres, elle devient un socle discret mais fondamental. » — Yves-Vincent Davroux, intervenant lors de la conférence « Mieux respirer pour mieux apprendre », mars 2025 à Saint-Denis.
Un engagement pédagogique qui fait du bien Depuis cette conférence — coorganisée notamment dans le cadre du programme « Respirons la Santé » —, plusieurs établissements réunionnais ont décidé de poursuivre ou de relancer la dynamique. Certains enseignants commencent leur journée par une respiration partagée. D’autres l’utilisent pour accompagner un retour au calme après la récréation. Et dans les classes les plus remuantes, ces micro-pauses deviennent de véritables bulles d’air collectif.
Car ce que révèle cette démarche, au-delà de ses effets physiologiques, c’est la puissance du lien créé. En respirant ensemble, l’adulte et l’enfant sortent du rapport d’autorité pour entrer dans un espace d’attention mutuelle. Un temps où le corps, souvent oublié dans l’apprentissage, retrouve sa place. Et où le coeur — au sens émotionnel du terme — peut exister sans débordement.
Intégrer la respiration à l’école, ce n’est pas ralentir l’apprentissage. C’est créer les conditions pour qu’il s’enracine en profondeur. Car un enfant tendu n’apprend pas. Un cerveau stressé n’intègre pas. Un esprit bousculé n’écoute pas. Dans un monde où tout s’accélère, donner à l’école la possibilité de souffler, de se réguler, d’écouter, c’est faire un choix fort. Un choix d’éducation sensible, respectueuse, durable. Et c’est peut-être là que se joue l’école de demain : dans la capacité à enseigner, non pas plus vite, mais plus juste.
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