DOCTEUR BERNARD-A GAÜZÈRE

Porte -parole du conseil de l’ordre des Médecins de la Réunion

Comment la crise sanitaire a éte gérée dans nos régions insulaires, comment voir l’après Covid 19 ? Nous avons rencontré le docteur Bernard-A Gaüzère pour nous en parler…

 

Une phrase pour vous présenter ?

Docteur Bernard-A. Gaüzère, Professeur visiteur de médecine tropicale et santé internationale clinique – Université de Bordeaux, Ancien chef du service de réanimation du CHU Nord (Saint-Denis, Réunion).

Quel rôle avez-vous joué pendant cette crise ?
En début de crise, le président et la chargée de communication du Conseil de l’ordre des médecins m’ont demandé de communiquer auprès des médias, car les médecins du CHU qui s’occupaient des patients Covid-19 ne le pouvaient pas. Et aussi en ma qualité d’ancien chef du service de réanimation du CHU Nord qui est en première ligne dans la prise en charge des patients Covid-19+ les

plus graves et d’enseignant de médecine tropicale et santé internationale clinique, à l’université de Bordeaux. J’avais également vécu en direct la crise du chikungunya à l’hôpital.

« Le microbe n’est rien. C’est le terrain qui est tout. »

Louis Pasteur a dit “Le microbe n’est rien. Le terrain est tout.” Que vous inspire cette citation ? « Le microbe n’est rien. C’est le terrain qui est tout. » aurait concédé le microbiologiste Louis Pasteur au physiologiste Claude Bernard. Pour Claude Bernard (XIXe siècle), le terrain était le « milieu intérieur » : le sang et la lymphe qui baignent et alimentent nos organes. Le maintenir constant permet d’éviter un mauvais état général (baisse des défenses immunitaires, fatigue, etc.), susceptible de faire le lit de maladies physiques, psychiques ou de nous rendre plus vulnérables aux infections et aux cancers, par exemple. De nos jours, cette notion de terrain s’est élargie au système immunitaire dont on sait qu’il décline avec l’âge (ce qui explique la plus forte létalité au Covid-19 des personnes âgées de plus de 70 ans, on parle aussi d’immunosénescence) et inclut la forme physique qui dépend étroitement de notre hérédité mais surtout de notre hygiène de vie (dont l’exercice régulier, l’absence de surpoids, de tabagisme, d’alcoolisme…), le psychisme (les optimistes vivent mieux et plus longtemps que les pessimistes et les dépressifs), l’environnement familial (le deuil d’une personne très proche réduirait l’espérance de vie), professionnel (les cadres et les enseignants vivent plus vieux que le reste de la population), matériel (mieux vaut être riche que…), naturel (la pollution réduit notre espérance de vie). Nous savons que nous ne sommes pas tous égaux devant le virus du Covid-19 : quelques centenaires lui ont survécu alors que des enfants y ont succombé, certains d’entre-nous présentent des formes d’infection inapparentes (les patients dits asymptomatiques, sans aucun signe de la maladie…).

Y-a -t- il eu des différences entre Maurice et la Réunion lors de la crise du covid 19 ?
Tout comme les Seychelles, les deux îles sœurs ont su se préserver du pire – à la différence de Mayotte et des Comores. Maurice compte une centaine de cas confirmés en moins que la Réunion, mais dispose de moins de facilité de pratiquer les tests PCR qui sont coûteux et complexes à réaliser. Malheureusement, alors qu’aucun Réunionnais n’est décédé de la Covid-19, Maurice compte une dizaine de décès, dont le médecin pneumologue qui avait pris en charge le patient index qui rentrait d’Angleterre, sans que celui-ci ne lui ai dit qu’il en venait !

Globalement comment s’est passée cette crise à La Réunion ? Globalement bien au plan de la santé, sans saturation des capacités hospitalières et sans infection aucune du personnel soignant. Les patients Covid-19 + de Mayotte sont désormais pris en charge au CHU de Saint-Denis, en raison de la saturation des structures sanitaires de Mayotte et de l’explosion du nombre de cas. Par contre, en raison du confinement et de la quasi-fermeture de l’aéroport, l’économie réunionnaise, déjà bien fragile, a considérablement souffert, tout comme à Maurice..

Quels sont les gestes quotidiens et simples à l’avenir pour prévenir la transmission de virus ?
 
Les mesures barrières, dont le port du masque chaque fois que la distance physique entre deux personnes ne peut être maintenue. Le virus expliqué à mon enfant. Que lui dire en tant que parent ? Tout dépend de son âge… Vaste question à laquelle les enseignants vont s’attaquer de retour à l’école.

Une phrase pour rassurer les mamans en cas de virus ou d’épidémies ?
Pour ce qui est de cette pandémie et de ce virus, les enfants – pour des raisons encore mal élucidées- sont globalement peu à risques. Hormis la survenue au cours des dernières semaines de syndromes de Kawasaki chez environ 200 enfants dans les pays occidentaux.

Quel sera l’après, selon vous ?
Dans les pays qui ont pu (comme La Réunion, Maurice, l’Europe…) différer et étaler le pic de l’épidémie afin de ménager leurs systèmes de soins, l’immunité collective de 60 % de la population ne sera atteinte qu’au prix de vaguelettes successives d’infection à partir de foyers de cas groupés, dès la fin du confinement et la circulation des personnes, dans l’attente de la mise à disposition d’un ou plutôt de plusieurs vaccins à grande échelle. Dans les pays qui n’ont pas voulu ou pu différer et étaler le pic de l’épidémie, pour des raisons politiques (Comores, Madagascar, Mayotte…) le nombre d’infections et de décès sera plus important et l’immunité collective sera atteinte plus rapidement, au prix d’une forte mortalité qui ne sera jamais portée sur la place publique (mais aussi Brésil, par exemple).Nous allons assister à une japonisation de la société : masques, distances respectueuses avec autrui, fini les bises et les poignées de mains.
Nous ne connaîtrons vraisemblablement jamais le monde que nous avons laissé il y a trois mois, ici ou ailleurs… Mais l’humanité fera face à ce nouveau défi, comme elle l’a toujours fait depuis ses débuts.

Pensez-vous que l’angoisse et le stress ressentis par certaines personnes lors du confinement peut entraîner une baisse d’immunité et donc les rendre plus fragiles (en résumé le psychisme influence-t-il le physique ou le métabolisme ) ?

Angoisse et stress influent sur notre santé et notre système immunitaire. Mais l’absence de stress et d’angoisse ne suffisent pas à nous protéger du virus, de celui-ci ou des autres !

Comment seront gérés les déplacements une fois les aéroports ouverts?
Bonne question ! L’enjeu de la reprise des vols et du tourisme, sans reprise de l’épidémie, est désormais un pari risqué partagé par les deux îles sœurs, et les Seychelles.

Comment les compagnies aériennes vont gérer les personnes ? Encore une question pertinente… Des mesures strictes sont prévues, mais dans un avion bien rempli la distanciation physique ne peut être respectée…

Un reconfinement est-il à prévoir ?
Le scenario du reconfinement a été présenté par Jean Casteix, le Monsieur déconfinement du gouvernement français. Déjà quelques villes ont été reconfinées en Chine et la vie nocturne de Séoul a été reconfinée, à la suite de la survenue de cas groupés de Covid-19.

Selon une équipe de Harvard1 qui a réétudié les bêtacoronavirus OC43 et HKU1 sous l’angle des estimations de la saisonnalité, de l’immunité et de l’immunité croisée à partir de séries chronologiques provenant des États-Unis, afin de bâtir un modèle de transmission du SRAS-CoV-2, la méthode la plus efficace de lutte contre le virus – tant qu’aucun vaccin n’aura été commercialisé à très grande échelle – serait d’alterner les périodes de confinement ou de distanciation sociale d’un mètre ou plus (pour éviter le débordement des hôpitaux) et de déconfinement (pour permettre au virus de circuler et d’immuniser peu à peu la population). Un peu comme le garrot que l’on desserre de temps à autre pour laisser passer un tout petit peu du venin de serpent dans l’organisme et que l’on resserre aussitôt. Comme toute modélisation, celle-ci repose sur une part d’aléas, puisque nous sommes en présence d’un nouveau virus qui comporte encore de nombreuses inconnues, telles la durée et la qualité de l’immunité post- infection et la durée de vie du virus sur les objets. L’histoire nous a enseigné que la plupart des modélisations s’étaient montrées trop pessimistes.

1Kissler et al., Science 10.1126/science. abb5793 (2020). 10.1126/science.abb5793

Interview réalisée le 25 mai 2020