Valérie Filain : Informer, éveiller et inspirer
Avec plus de 20 ans de carrière dans le journalisme, Valérie Filain incarne une passion intacte pour l’information et la transmission. Aujourd’hui directrice régionale de Réunion La Première, elle continue de défendre une presse exigeante, de proximité et profondément humaine. Rencontre avec une femme de convictions, animée par l’envie de raconter les histoires qui font grandir
Emma Mag : Qu’est-ce qui vous a donné envie de choisir ce métier et quelles ont été selon vous les étapes clés qui vous ont menée à ce poste aujourd’hui ? « Tout a commencé très tôt. Adolescente, je passais beaucoup de temps à feuilleter les nombreux magazines que mon père rapportait à la maison grâce à un ami buraliste. Chaque semaine, c’était un véritable festin d’hebdomadaires français, internationaux, sportifs… Un jour, je suis tombée sur un article consacré au conflit israélo-palestinien. J’étais loin de comprendre les enjeux à l’époque, mais la force des mots et des images m’a profondément marquée. À ce moment-là, j’ai su : je voulais devenir journaliste, pour raconter au monde des histoires humaines, pour donner des clés de compréhension aux lecteurs et téléspectateurs. Au départ, mon rêve était de devenir grand reporter et de parcourir le monde. Mais avec le temps, mon amour pour La Réunion s’est imposé comme une évidence. J’ai compris qu’ici, chez moi, il y avait aussi tant d’histoires à raconter. »
Emma Mag : Vous avez commencé par RFO, qui est devenu Réunion La Première ? « Oui, j’ai grandi avec RFO. Même si le nom a changé au fil du temps, l’âme de la chaîne est restée la même. L’esprit de proximité, de service public, de valorisation de notre culture est resté intact. C’est un lien précieux avec nos publics que nous cultivons chaque jour. »
Emma Mag : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans l’évolution des médias ultramarins ? « Aujourd’hui, les Outre-mer prennent pleinement leur place sur la scène médiatique. Nous ne sommes plus de simples territoires annexes : nous sommes de véritables pays avec nos propres histoires, nos héros du quotidien, nos talents à faire rayonner. Au sein du pôle Outre-mer, il y a une dynamique de réseau très forte. Nous travaillons main dans la main entre stations, nous échangeons nos expériences, nos regards. C’est une vraie aventure humaine et collective pour mieux raconter nos réalités, ici comme ailleurs. »
Emma Mag : Qu’est-ce qui vous anime encore après plus de 20 ans de journalisme ? « L’envie, la curiosité, la passion ! Même si je ne pratique plus le journalisme au quotidien, l’esprit est toujours là. Il y a toujours une petite histoire quelque part qui mérite d’être révélée. Ce qui m’anime, c’est cette quête d’authenticité : donner la parole à ceux qu’on n’entend pas, raconter les réussites de nos quartiers, mettre en lumière ceux qui, dans l’ombre, construisent l’avenir de notre île. »
Emma Mag : Avec l’ère de la surinformation et des fake news, quel rôle doivent jouer les médias aujourd’hui ? « Nous devons être des repères. Face à l’abondance d’informations parfois fausses, notre responsabilité est de proposer une information vérifiée, rigoureuse. À Réunion La Première, nous refusons la course au buzz. Nous privilégions la vérification, la contextualisation. Un fait n’a de valeur que s’il est compris dans toute sa complexité. Nous devons aider nos publics à démêler le vrai du faux, et à garder un regard critique sur ce qu’ils voient ou entendent. »
Emma Mag : Quel conseil donneriez-vous au grand public pour vérifier une information ? « Il existe aujourd’hui de nombreux outils et plateformes de fact-checking fiables. Il faut apprendre à croiser les sources, à vérifier la provenance d’une image ou d’une citation. Nous, à Réunion La Première, nous mettons à disposition ces outils pour accompagner le public. Mon conseil est simple : prenez le temps de vérifier avant de partager. »
Emma Mag : Dans votre carrière, quel a été votre plus grand défi ? « Le premier grand défi, ce fut ma famille. Mes parents m’ont toujours soutenue, mais j’ai toujours ressenti cette responsabilité d’être digne de leur confiance et de leurs sacrifices. Ensuite, bien sûr, c’est le public. Il vous évalue en permanence. À l’heure des réseaux sociaux, les retours sont immédiats, parfois violents. Il faut savoir rester solide, ne pas se laisser déstabiliser, apprendre à se remettre en question sans perdre confiance en soi. »
Emma Mag : Aujourd’hui, en tant que directrice régionale, quelles sont vos priorités pour Réunion La Première ? « Mettre La Réunion au coeur de nos programmes. Valoriser notre richesse culturelle, nos langues — français et créole, nos talents locaux. Développer l’offre sportive aussi, avec un retour massif du football, du rallye, et de nouvelles émissions en préparation. Et puis, donner plus de place aux débats citoyens, accompagner les grands rendez-vous démocratiques, tout en restant fidèle à notre mission de service public. »
Emma Mag : Quel regard portez-vous sur les jeunes talents et l’émergence de l’intelligence artificielle dans les médias ? « Il faut donner leur chance aux jeunes, comme on me l’a donnée. Quant à l’IA, il ne s’agit pas de la combattre mais de la maîtriser. L’intelligence artificielle est un outil formidable, mais elle ne remplacera jamais la sensibilité,l’expérience, ni la connaissance intime d’un territoire qu’a un journaliste qui écrit avec sa « plume », son coeur, son vécu, son supplément d’âme… »
Emma Mag : Quel est, selon vous, le plus grand défi des médias aujourd’hui ? « Survivre dans un contexte économique exigeant, tout en restant fidèle à nos missions fondamentales : informer, éveiller les consciences, lutter contre le repli sur soi. Nous devons continuer à exister en restant proches de nos publics, en anticipant leurs attentes, sans jamais sacrifier la qualité ni l’intégrité de notre travail. »
Emma Mag : Vous êtes aussi très engagée pour l’environnement et la cause océanique. Comment cela influencet- il votre métier ? « Nous avons un rôle à jouer dans la sensibilisation aux enjeux climatiques, surtout dans les Outremer. J’ai eu la chance de participer à des événements autour des superpouvoirs de l’océan. C’est notre responsabilité de relayer ces initiatives positives, d’informer sans dramatiser, de donner envie d’agir. L’optimisme est une force. »
Emma Mag : Où puisez-vous toute cette énergie ? « (Rires) Peut-être dans mon goût des défis ! J’aime l’effervescence, le bruit de la vie, l’énergie des enfants, des quartiers. Je suis hyperactive, oui, mais j’aime cette effervescence créative. Elle me pousse à avancer, encore et toujours. »
Emma Mag : Y a-t-il un moment où vous vous êtes dit : « C’est pour ça que je fais ce métier » ? « Oh oui, souvent. Quand un reportage a un impact réel, quand il change la vie de quelqu’un. Je pense à cet étudiant que j’avais rencontré, en grande difficulté, et qui est aujourd’hui un brillant élève de Sciences Po. Ces histoires-là donnent tout leur sens à mon engagement. »
Emma Mag : Enfin, si vous pouviez donner un conseil à la jeune Valérie Filain débutant à RFO, quel serait-il ?
« N’aie pas peur de t’affirmer. Sois fière de ta voix. Et surtout, pense à déconnecter de temps en temps… et à dormir un peu plus ! »
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